Introduction
Pour qu’une charge inscrite en comptabilité soit déductible fiscalement le contribuable doit respecter un certain nombre de règles. En ce domaine, les règles de preuve sont d’une grande subtilité et tout particulièrement s'agissant du caractère normal ou excessif d'une charge. Nous profitons d’un arrêt récent (CE, 5 juin 2020, n°425789 Sté Faraday) pour faire le point sur les règles de preuve du caractère excessif d'une charge.
I - Par principe la preuve du carcatère excessif d'une charge est supportée par l'administration
Dans l’arrêt du Conseil d’Etat Faraday précité, une entreprise vendait au détail des produits de luxe pour les touristes.
Pour attirer ces touristes dans sa boutique elle rémunérait des agences de voyage avec une commission d’apporteur d’affaires. A chaque étape dans sa boutique l’entreprise versait aux agences de voyage une commission de 25% du chiffre d’affaires réalisé.
L’administration fiscale a contesté cette commission de 25% en estimant que seule une commission de 10% aurait été suffisante et par conséquent elle a réintégré 15 points au résultat fiscal de l’entreprise. Un des enjeux principaux de cette affaire était de déterminer qui du contribuable ou de l’administration doit prouver qu’une charge est normale ou excessive.
En application de la jurisprudence Sté Ets Lebreton (CE, 20 juin 2003, n°232832, Sté Est Lebreton), le contribuable qui entend déduire une charge fiscale doit apporter des justifications de deux ordres.
Il doit justifier que la charge est déductible en raison de sa nature (ex: art 39, 4 pour les dépenses somptuaires qui sont privées du droit à déduction en raison de leur nature) ;
Il doit justifier que la charge a une contrepartie qui existe.
Pour établir ces deux éléments, les moyens de preuves que le juge accepte sont « tous les éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie que le contribuable en a retirée ».
Dès lors, le contribuable a justifié de la déductibilité de la charge qu'il entend déduire.
C'est ensuite à l'administration d'avancer ses arguments. L'administration peut alors contester les arguments du contribuable afin de réintégrer l'intégralité de la charge. Elle peut également établir que si la charge dans sa nature n'est pas contestée, elle est en revanche excessive et ainsi réintégrer uniquement la fraction excessive.
"C'est sur le service que repose la preuve du caractère excessif d'une rémunération vérsée en contrepartie d'une prestation dont la déductibilté par nature et la réalité ne sont pas contestées".
Emilie Bokdam-Tognetti (conclusions sous CE, 5 juin 2020, Sté Faraday)Dans la jurisprudence Faraday, si le Conseil d'Etat n'a remis en cause ce raisonnement il a en revanche rappelé l'importance des présomptions qui peuvent inverser la charge de la preuve.
II - Le renversement de la charge de la preuve par présomption
Depuis un joyeux arrêt de 2007, les contribuables disposent d’une présomption de déductibilité sur présentation de leurs factures (CE, 21 mai 2007, n°284719 Sté Sylvain Joyeux). En effet, dès lors que le contribuable fournit à l’administration des factures régulières pour des dépenses qu’il a réellement supportées il est présumé avoir justifié de la déductibilité de la charge tant dans sa nature que dans sont montant. C’est alors à l’administration fiscale qu’il appartient de prouver que la charge n’est pas fondée.
Attention, l’administration dispose elle aussi de présomptions qui peuvent s’avérer très utiles et notamment dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale. La seconde partie de l’arrêt Faraday en fait justement application. Dans le cas d’espèce la société Faraday qui versait des commissions d’apporteur d’affaires effectuait des paiements à un bénéficiaire situé à Hong-Kong (où la fiscalité est très avantageuse).
Rappel sur la notion d'Etat à fiscalité priviliée.
La définition de ce qui doit être regardé comme un "régime fiscal privilégié" est posée à l'article 238 A du CGI. D'après cet article, les personnes soumises à un régime fiscal privilégié sont celles qui ne sont pas imposables dans l'Etat considéré, ou qui y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices dont le montant est inférieur à plus de la moitié de celui dont elles aurient été redevables si elles avaient été domicilées en France. Cet écart a été ramené à 40% pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020.
Pour établir l'existence d'un régime fiscal privilégié, l'administration doit prendre en compte tous les impôts directs qui frappent les bénéfices et non uniquement l'impôt sur les sociétés (CE, 29 juin 2020, n°433937, SARL Bernys).
Le dispositif de lutte contre l’évasion fiscale prévu par l’article 238 A al 1er du Code général des impôts permet donc à l’administration fiscale de refuser la déduction des charges versées à des bénéficiaires établis dans un pays à fiscalité privilégiée.
Pour établir cette fiscalité privilégiée, l’administration doit uniquement et strictement démontrer que les revenus perçus par ce bénéficiaire ont subi un impôt dont le montant est inférieur à plus de la moitié (40% depuis le 1er janvier 2020) de celui qui aurait été payé dans les conditions de droit commun en France. Le Conseil d’Etat rappelle que cette seule preuve suffit à renverser la charge de la preuve et que l’administration n’a pas à rechercher si le véritable bénéficiaire effectif qui n’est pas à Hong-Kong subit ou non un impôt comparable à l’impôt français.
Sources
Pour plus d'informations
RDF n°43 du 22 octobre 2020, chronique n°416
En ce qui concerne les impositions à prendre en compte pour la qualification de régime fiscal privilégié (238 A du CGI), voir RDF n°39 du 24 septembre 2020, chronique n°385
- Arrêt CE, 5 juin 2020, n°425790 Sté Faraday
- Conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public sous CE, 5 juin 2020, n°425790 Sté Faraday
- Jurisprudence Sté Lebreton (CE, 20 juin 2003) sur la charge de la preuve
- Jurisprudence Sylvain Joyeux (CE, 21 mai 2007) sur la présomption en faveur du contribuable qui produit des factures régulières
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A propos de l'auteur
Romain Ponsot
Romain est avocat fiscaliste au barreau d’Aix en Provence. Grâce à son expertise tant en matière de TVA, fiscalité internationale, problématiques intragroupe qu’en matière de fiscalité des particuliers, Romain vous guidera au travers d’articles professionnels et humoristiques.Romain, poète dans l’âme, aime particulièrement le couscous et passe beaucoup de temps à glacer ses souliers. Profil LinkedIn
Jean-François
Envoyé le 18/11/2020Romain Ponsot
Envoyé le 18/11/2020