P our comprendre le mécanisme d’élimination des doubles impositions dans le cadre des retenues à la source, nous proposons de présenter les règles applicables autour de la résolution d’un exemple pratique.

Une entreprise française réalise une prestation de service en Inde pour un client indien (imaginons qu’elle remplace les touches usées des téléphones d’un call center).

Le traité passé entre la France et l’Inde prévoit que les rémunérations pour service technique sont soumises à une retenue à la source de 10% (l’application de ce taux résulte d’une clause de la nation la plus favorisée insérée dans le protocole de la convention, cf. article sur le protocole des conventions).

La loi interne en Inde prévoit que les clients indiens d’une entreprise étrangère doivent verser à l’administration fiscale indienne 30% du montant de la facture, si le prestataire n’a pas en Inde de numéro PAN (Permanent Account Number) ni de certificat de résidence fiscale (ce taux de 30% a été imaginé pour illustrer notre exemple, dans la pratique il se peut qu’un autre taux soit appliqué).

Pour compliquer la situation imaginons que l’entreprise française n’ait pas de numéro PAN ou de certificat de résidence fiscale (ou les deux).

Note (avril 2017): A la lecture du projet de loi de finances en Inde pour l’année 2017/2018, l’obtention du PAN ne serait plus obligatoire pour obtenir la non application de la retenue à la source. Plus d'infos ici.

Malgré les dispositions de la convention, le client indien doit pratiquer une retenue à la source de 30% (et non de 10% comme le prévoit la convention). En effet, s’il pratiquait uniquement une retenue à la source de 10% il serait dans l’illégalité  (vis-à-vis de la loi interne indienne qui exige 30%) et se verrait contraint par l’administration fiscale indienne de lui verser les 20% manquants.

NB: Cette pratique peut paraître bien surprenante pour quiconque aura étudié le droit constitutionnel français, parce que la supériorité des engagements internationaux  sur la loi interne française est plutôt bien respectée en France (et dans le cas où elle ne le serait pas, il existe des recours effectifs devant les tribunaux). Toutefois, dans d'autres pays (comme notamment l'Inde) les conventions ne sont pas toujours respectées. Et c'est là où le droit fiscal international se complique... 

Le problème est donc le suivant : la convention prévoit une retenue à la source de 10% mais le client est contraint de pratiquer une retenue à la source de 30%.

Quel est le traitement fiscal de cette facturation au niveau de l’IS français ?

Il faut ici « couper » la retenue à la source en deux et traiter différemment les premiers 10% qui sont conformes à la convention (que nous appellerons « le Taux conventionnel »), des 20% restants qui sont contraires à la convention (que nous appellerons « le Taux non-conventionnel »).

I. Pour le Taux conventionnel (les premiers 10%)

A. Lorsque l’entreprise n’est pas en déficit

Les articles 23A et 23B du OECD-MC prévoient le traitement de ces premiers 10%. Puisque la convention a « autorité supérieure à celle des lois » (article 55 de la Constitution), le contribuable devra suivre obligatoirement le traitement donné par la convention. La convention prévoit d’accorder un crédit d’impôt français du montant de la retenue à la source pratiquée à l'étranger.

Concrètement : l’entreprise paye 10% d’impôts en Inde par voie de retenue à la source et 33,1/3% d’IS français. Il y a deux impositions pour la même facture (une en France, une en Inde) dont le sort est prévu par la convention.

La convention s'applique: l'entreprise a droit à un crédit d'impôt de 10%, ce qui revient en pratique à déduire de l'IS français le Taux conventionnel de la retenue à la source indienne.

Mais quel est le sort de ce crédit d’impôt lorsque l’entreprise française est en déficit (donc ne paye pas d’IS) ?

B. Lorsque l’entreprise est en déficit

Le problème pratique est qu’en droit français, un crédit d’impôt conventionnel n’est pas reportable donc tombe en non-valeur si la société est déficitaire.

Si la convention prévoit expressément que la méthode d’élimination de la double imposition se fait par crédit d’impôt et que cette méthode est exclusive de toute autre méthode, alors l’entreprise française pourra uniquement enregistrer un crédit d’impôt. Ce traitement fiscal a été confirmé la Cour administrative d’appel de Versailles (dans l’arrêt Egis du 18 juillet 2013, n°12VE00572) considérant qu’en période déficitaire les retenues à la source sont des charges déductibles tant qu’elles ne sont pas expressément exclues de déduction par la convention.

A l’inverse si la convention ne prévoit pas que la méthode d’imputation doit obligatoirement être le crédit d’impôt, alors la société déficitaire pourra enregistrer le crédit d’impôt perdu comme charge de l’exercice.

A titre d’illustration, lorsque le crédit d’impôt est exclusif de toute autre méthode d’élimination on tombera sur des formulations telles que « Dans ce cas, l'impôt n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français ». Ce type de formulation se retrouve notamment dans les Conventions que la France a passé avec la Chine, L’Espagne, l’Inde, L’Italie, le Japon, le Maroc, le Nigeria, le Panama, le Venezuela. A l’inverse lorsque le crédit d’impôt n’est pas exclusif d’une autre méthode d’élimination on tombera sur des formules telles que « la France accorde un crédit d'impôt au bénéficiaire de ces revenus » tel est le cas dans la convention Franco-grecque (cas d’espèce de l’arrêt Egis).

En conclusion sur ce point, si la convention prévoit une méthode d’élimination par crédit d’impôt sans être plus précise alors la retenue à la source opérée pourra devenir une charge de l’exercice dans le cas où la société est déficitaire. En revanche, si la convention prévoit que l’unique méthode d’élimination de la double imposition est le crédit d’impôt, alors la société déficitaire ne pourra pas déduire le crédit d’impôt perdu comme charge de l’exercice.

II. Pour le Taux non conventionnel (les 20% restants)

La convention ne prévoit pas le traitement de ces 20% retenus à la source en plus du Taux conventionnel.  Puisque la convention ne règle pas ce point, le principe de subsidiarité  des conventions internationales veut que le sort de ce Taux non conventionnel soit réglé par la loi interne française.

Nous nous tournons donc vers la loi fiscale française, et plus  précisément vers l’article 39-1, 4° du CGI .

Ce dernier prévoit que le bénéfice net s’établi sous déduction de toutes charges et donc notamment des impôts mis en recouvrement au titre d’un exercice. A priori, le Taux non conventionnel est donc une charge de l’exercice.

Sur ce point l’administration fiscale française privilégie une autre approche qui arrive pourtant à la même conclusion : la retenue à la source non conventionnelle est une créance que le prestataire devra demander à son client, et dans le cas où le client ne paye pas cette créance, alors le prestataire français pourra enregistrer soit une provision s’il y a des chances que le client le rembourse (cela pourra par exemple être le cas si le Taux non conventionnel n’est pas justifié par la loi interne du client) ; soit directement une charge pour créance impayée si il est certain que le client ne remboursera pas (lorsque le Taux non conventionnel est exigé par la loi interne du client, il n’y a clairement aucune chance que le client rembourse ce Taux non conventionnel).

Dans notre exemple pratique, le client ne va jamais rembourser le montant non conventionnel de retenue à la source, parce que dans ce cas il se mettrait dans l’illégalité (vis-à-vis de la loi interne indienne). L’entreprise française devra donc enregistrer une charge de 20% pour créance impayée.

NB: quand nous parlons "d'illégalité vis-à-vis de la loi interne indienne" nous voulons dire que l'administration fiscale indienne dispose de mesures contraignantes pour faire respecter la retenue à la source de 30%.  Certes, il ne s'agit pas d'une illégalité "de jure" parce que officiellement la convention est supérieure à la loi interne, mais d'une illégalité "de facto" parce que le client s'expose a des sanctions s'il privilégie la convention sur la loi interne. 

Pour conclure sur le cas de notre prestation de service en Inde,

Si l’entreprise n’est pas déficitaire, elle va enregistrer un crédit d’impôt de 10% et une charge déductible de 20%

Si l’entreprise est déficitaire, elle pourra uniquement enregistrer une charge déductible de 20%


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